reflexions — 30 octobre 2022

Changer de regard sur mon quotidien

Chaque année c’est pareil. L’été arrive, j’en profite pour passer un maximum de temps dehors. Il y-a aussi notre road trip estival annuel de 2000km de Lille à la Bourgogne en passant par la Provence, l’Héraut et le centre de la France, pour faire une tournée de nos familles et des lieux pour chiner pour Samantha. Partir avec la voiture la plus vide possible, pour revenir avec la voiture la plus pleine possible. Pas de bivouac et peu de vélo cet été, mais l’envie plus présente que jamais. Et puis le temps file, je garde en tête l’envie d’écrire sur mon blog — le seul espace qui ne me déçoit jamais, mais comme rongé par le besoin d’écrire de longs articles complets, j’en ai oublié les articles que j’écrivais avant quand ce même blog s’appelait encore djisupertramp.com. Alors je reviens en ce jour de passage à l’heure d’hiver, sans article complet, ni de guide pratique sur tel ou tel sujet. Mais simplement pour poser quelques idées sur papier virtuel. Parce qu’après tout, un blog ça sert aussi à raconter un peu sa vie.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

En 2021, j’ai shooté la quasi totalité de mes photos à l’argentique. En 2022, l’équilibre était un peu plus présent avec l’envie de me ré-approprier un peu Lightroom, mais aussi d’instantanéité parfois avec l’envie de ne pas attendre le retour du labo. J’ai donc acheté un RX100V pour avoir un petit point and shoot à prendre avec moi pour pouvoir filmer ou photographier du quotidien, si je n’ai pas envie que ça soit à l’argentique. Mais avec le retour des belles lumières automnales, des différents projets qui se préparent, je me retrouve à nouveau à vouloir attraper mon Canon A1 et mon Mju II dès que l’envie de bouger se fait sentir. Je crois que ça me fait du bien de retrouver l’envie de faire des photos. Je me rends compte que je shoote vraiment par projet, qu’il soit personnel ou pro, mais assez peu entre deux. Sauf que j’aime toujours autant documenter ce qui m’entoure et essayer de ramener des belles images.

Alors à coups de messages Signal grands comme ça, de discussion de plusieurs heures lors de notre pause FaceTime hebdomadaire avec Greg, je crois qu’on commence à toucher du bout du doigt la solution. On se tire mutuellement vers le haut et c’est agréable d’avoir cette personne à confier tout ça car on est souvent au même point, même sans se le dire. Si lui s’est pris une claque, mais pas celle attendue, en Islande, on se rend compte aussi qu’on oublie parfait un peu trop de sortir de notre zone de confort ou de photographier au quotidien. Même si j’ai créé il y-a quelques mois cette page “MOMENTS” justement comme une galerie de photos du quotidien, entre les projets, force est de constater que je ne suis pas encore là où je voudrais être. Les mots récents de Brian Chorski n’ont fait qu’étayer un peu plus cette reflexion. D’ailleurs, je me suis empressé d’aller voir les portfolios de certains de mes photographes préférés sur ses bons conseils, pour ne pas me cantonner à leurs comptes Instagram. Si c’est quelque chose que j’ai toujours eu tendance à faire depuis bien longtemps, je crois que j’avais un peu oublié ce réflexe ces derniers mois.

Les questions qui me reviennent en tête ces derniers jours sont toujours les mêmes : « pourquoi est-ce que je m’éclate à photographier New York, qui est hors de ma zone de confort vu que je suis plus inspiré par l’outdoor sur le papier, mais que je ne prends aucune photo de mon quotidien ou de mes pérégrinations dans ma ville de Lille que j’aime tant ? » « Pourquoi est-ce que je ne documenterais pas des images de notre quotidien, ici à la maison, alors que je le fais en voyage ? » Bien sûr, l’attrait de l’étranger, de la culture américaine a un impact énorme sur mon inspiration en road trip comme en city trip à New York, mais quand même. Je commence à vraiment me dire qu’à trop voir mon quotidien, j’en oublie de voir le beau dans ces moments simples. Je me suis toujours juré de ne jamais arrêté de m’émerveiller devant une belle lumière ou un coucher de soleil, et c’est toujours le cas, mais j’en oublie peut-être un peu trop la simplicité des moments du quotidien.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

Nous sommes beaucoup à aimer cette nostalgie des années 70/80/90 documentée à coups de pellicules prises dans un point and shoot automatique et pourtant quand on analyse bien les photos de cette période, nos parents et grands parents ne faisaient ni plus ni moins que documenter le moment présent. On ne m’enlèvera pas cet attrait esthétique pour les devantures anciennes, les néons ou les vieilles voitures qui, bien qu’à la mode sur Instagram, bercent ma passion pour l’image depuis bien longtemps. Mais pour autant, à toujours vouloir documenter les vieilles choses, est-ce que je ne devrais pas aussi tout simplement documenter l’instant présent ? Je me souviens avoir déclenché une photo avec mon Canon A1 en janvier dernier à Times Square, en cadrant volontairement un écran qui affichait une publicité pour un forfait 5G, en me disant que « dans 30 ans quand on sera à la 10G, on en rigolera sûrement et on trouvera ça vintage ».

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

Mais il y-a aussi la nostalgie du quotidien. Cette nostalgie qui s’installe sans avoir besoin de ressortir les photos 30 ans plus tard. Prendre une photo souvenir d’un repas post-déménagement des copains, une soirée d’été dans le jardin avec une amie alors enceinte alors qu’un an et demi plus tard, on soufflait la première bougie de ce même bébé, la gourde sur le bord de la table de pique nique ou ce rayon de lumière au restaurant. Photographier le quotidien, c’est finalement immortaliser des instants qui nous ferons ressentir de la nostalgie dès la saison qui suit. Et si finalement il y-avait 2 types de photographie du quotidien ? Celle où l’on s’applique, on guette un moment, un lumière en déambulant dans son environnement proche, et qui s’apparenterait à la photo de rue, mais qui marche partout, tout le temps : à la plage, en ville, à la campagne, comme en montagne.

Et puis, il y-aurait la photo du quotidien, plus candide, plus aléatoire, et avec une vision documentaire, qu’on déclenche avec ce qu’on a sous la main, pour immortaliser des moments de notre vie. Cette photo là, ne serait pas toujours la plus parfaite, mais elle aurait une valeur sentimentale sublimée par un moment suspendu d’un geste, d’un regard, de l’unicité d’un moment ou d’une lumière mais sans se soucier des détails techniques inhérents à la pratique photographique ? Trouver un équilibre entre photographier et documenter. Un entre-deux qui pourrait peut-être bien être la clé à ma réflexion. Je crois que je m’auto-réponds en écrivant cet article. J’ai commencé à mettre sur papier ce à quoi je pensais, mais plus ça va, plus je rajoute des lignes et des paragraphes et plus je trouve des réponses à mes questions.

changer de regard
changer de regard
changer de regard
changer de regard
changer de regard
changer de regard

Toujours dans cette quête de sortir de ma zone de confort. Je me questionne pour essayer de booster un peu mon esprit et aiguiser mon regard : « pourquoi prendre en photo cette plage vide qui sera certes belle mais à laquelle je n’ajouterai rien aux 10000 photos déjà prises de cet endroit et qui ne transmettra aucune émotion ni histoire ? » « comment est-ce que je peux faire en sorte que cette photo m’évoque quelque chose de plus que simplement un « c’était beau cet endroit » ? ». Par exemple, ces deux photos ont été prises à quelques minutes d’intervalle au même endroit dans une calanque de Marseille. L’une montre la vue de la calanque dont le paysage est joli, mais ça s’arrête là au niveau créatif.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

La seconde m’évoque beaucoup plus de choses et est ma préférée de toute la pellicule d’ailleurs. On y voit des gens heureux, en train de bronzer et se baigner. On se rend davantage compte de la transparence de l’eau et de la chaleur de la journée. Un air de dolce vita et tempo allegro se dégage de cette image. On a envie d’être là (en tous cas moi), avec une glace à la main, l’eau qui sècherait sur notre peau avec quelques gouttes d’eau qui tomberaient de nos cheveux pendant qu’on bronze sur notre serviette réchauffée par le soleil. C’est une photo qui vieillira bien dans le temps et qui évoque aujourd’hui déjà cette notion de nostalgie dont je parlais plus haut. J’essaie désormais de souvent repenser à cette photo pour tenter de voir les choses différemment et voir à nouveau ce qui m’entoure au quotidien avec un oeil plus curieux.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

Toujours dans cette thématique de plage, il y-a quelques semaines avec Samantha, on avait une journée un peu difficile avec la PMA, et on a décidé d’aller se changer les idées sur la plage. J’ai pris mon appareil photo et quand ces nuages sont arrivées et l’heure bleue nous a enveloppée, j’ai trouvé la situation poétique mais très vraie de la solitude qu’on ressentait ce jour là face aux évènements et la difficulté que ça entrainait. Si j’avais photographié cette scène sans Samantha dedans qui parait aussi perdue, ça aurait été une simple photo de plage avec une belle lumière, mais sans puissance ni message à lire.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

Et puis, finalement il y-a aussi cette photo, toujours prise à la plage mais cette fois pendant un trip vélo aux Pays-Bas. On s’est arrêté pour regarder cette plage, à côté de la piste cyclable et ce bateau est passé au loin. J’ai déclenché avec mon RX100 mais la photo me parait un peu vide, et la poubelle prend presque le rôle central.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier
Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

Quelques secondes plus tard, j’étais au même endroit et cette femme est venue sortir ses 3 chiens à la plage. En analysant ces photos pour cet article, je me rends compte à quel point un même lieu peut évoquer beaucoup d’histoires. Et finalement, je retrouve ce côté un peu “photo de rue” mais à la plage sur cette dernière photo. On s’arrête un peu plus sur cette image que la première, même si au niveau lumière et technique, elle n’a rien d’incroyable, mais, moi en tous cas, je la garderais sûrement dans mon Lightroom, là où la première pourrait être supprimée prochainement car elle ne m’évoque pas grand chose comparé à la seconde.

Changer de regard sur mon quotidien pour mieux le photographier

Pour revenir en ville, bien sûr que New York n’est pas Lille et que j’aurai toujours un attachement spécial dans mon coeur à cette ville, mais finalement, pourquoi ne pas tenter de documenter et de chercher les petites pépites, ici à Lille. Après tout, les américains rêvent de venir chez nous, autant qu’on rêve d’aller chez eux. Vu que j’ai la chance de vivre ici, j’ai en plus le choix de pouvoir être encore plus exigeant dans mon choix de déclencher ou non, car j’ai la possibilité d’y aller, et d’y revenir encore et toujours. Si Arnaud Montagnard a un oeil incroyable mais est capable de documenter le quotidien de son quartier New Yorkais et de ses périples, après tout pourquoi est-ce que moi je ne pourrai pas ? On a pas le même oeil ni le même talent, mais à mon échelle, pourquoi est-ce que finalement, je ne me donnerais pas les moyens de pouvoir attraper cette belle lumière qui reflète une façade, cette femme qui traverse avec son café et son chien au coin de la rue comme je l’ai déjà fait à New York, mais ici à Lille ? Et à l’inverse, je suis aussi lucide sur le fait que New York est unique dans mon regard et que je ne pourrai pas tout retrouver ici. Mais comment pourrais-je photographier Lille en m’inspirant de mon approche New Yorkaise, tout en gardant l’âme de la ville dans laquelle j’habite, sans chercher à la faire ressembler à autre chose ? Autant de questions ne méritent pas forcément de réponse, mais qui sont un leitmotiv pour moi à aller essayer, et me balader dans les rues de ma ville. Embrasser la culture, le quotidien et le paysage urbain qui m’entoure plutôt que le repousser dans mon approche photographique.

changer de regard
changer de regard
changer de regard
changer de regard

Du coup, cette semaine, j’ai essayé de changer de regard. J’ai chargé une UltraMax 400 dans mon A1, j’ai laissé le 35mm f/2 à la maison et pris le 55mm f/1.2 pour sortir aussi un peu de ma zone de confort au niveau matériel. J’ai profité d’une virée en ville pour faire quelques photos, en guettant les contrastes, et en étant alerte sur ce qui m’entoure, sans pour autant finir en mode balade du club photo du coin à faire du macro sur une toile d’araignée. Le bilan ? 3 déclenchements. C’est peu, certes, mais je n’y allais pas pour passer une pellicule complète, je n’avais aucun objectif en tête si ce n’est de guetter ce qui m’attire l’oeil comme je peux le faire quand je me balade à New York. Je finirai cette peloche dans 2 jours ou peut-être 2 mois, mais qu’importe, au moins je me fais violence à aller plus loin que toujours attendre d’aller en pleine nature ou d’avoir une histoire forte pour faire des images. Un moyen de ne pas oublier que tout ce qui se passe entre deux projets est sûrement ce qui mérite le plus d’être documenté.

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